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Margarete et Sulamith

Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt

der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland dein goldenes Haar Margarete

Dein aschenes Haar Sulamith wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng

Paul Celan, Todesfuge (Fugue de mort), 1945

Un homme habite la maison qui joue avec les serpents qui écrit

qui écrit quand il fait sombre sur l’Allemagne tes cheveux d’or Margarete

Tes cheveux de cendre Sulamith nous creusons une tombe dans les airs on y couche à son aise

(traduction: Olivier Favier)

Paul Celan est né en 1920, à Czernowitz en Roumanie (aujourd'hui en Ukraine). À la frontière de l'Europe occidentale et orientale, cette ville reste le symbole du multilinguisme et des mélanges culturels qui existaient aux confins de l'Empire Austro-Hongrois au début du XXe siècle. Poète juif, Paul Celan, a perdu toute sa famille dans les camps et se suicidera en 1970. Son œuvre répond au silence imposé sur la situation terrible qu'il a vécu. À la fois témoin et victime du nazisme, il contredit la fameuse formule, datant de 1955, d'Adorno, selon laquelle « Écrire un poème après Auschwitz est barbare… » ("Critique de la culture et société", in Prismes, Paris, Payot, 1986).

Mère, l'automne m'a filé, saigné entre les mains, la neige m'a brûlé :

j'ai cherché mon cœur, qu'il pleure, et j'ai trouvé la brise, ah, de l'été, elle était comme toi.

La larme m'est venue. Le linceul j'ai tissé.


Paul Celan, Schwarze Flocken (Flocons noirs), 1943

Anselm Kiefer - Flocons noirs (2006)

Intensément douloureux, son poème Todesfuge a pour thème le sort des Juifs dans les camps d'extermination. Deux figures y apparaissent: Margarete, la femme aryenne avec sa cascade de cheveux blonds et Sulamith, la femme dont les cheveux noirs désignent ses origines sémites, mais qui sont aussi couleur de cendre, référence à la combustion. Deux figures qui apparaissent mais risquent aussitôt de disparaitre.


Sulamith, est la juive, la bien aimée fiancée (noire) du roi Salomon dans le Cantique des Cantiques. Selon certains interprètes, elle symbolise la pureté et la beauté de la vie sensuelle et monogame. Le mariage d'amour des deux amants dépasse leurs différences de classe. D'ailleurs, John Felstiner, dans son livre Paul Celan: Poet, Survivor, Jew (New Haven, Yale University Press, 2001), indique que le nom Sulamith fait référence à une femme juive qui agit comme l'incarnation d'un pont, comme « les moyens aimant et miséricordieux par lesquels les différences sont surmontées ». Bonnie Roos analyse cette perception historique de Sulamith comme une « exploration romantique du sublime ».

Anselm Kiefer - Sulamith (1981)

Margarete est, elle, l'allégorie de l'Allemagne aryenne. Dans l'œuvre de Goethe, Margarete dépeint une femme séduite par Faust mais son amour pour celui-ci est entaché de crimes. À la fois victime et bourreau, Margarete incarne idéalement (selon le canon romantique) le rôle de bien-aimée du soldat dans le poème de Paul Celan.

Anselm Kiefer - Your golden hair Margarete (1981)

Comme un écho aux mots de Rilke:

Qui donc, si je criais, parmi les cohortes des anges

m'entendrait? Et l'un d'eux quand même dût-il

me prendre soudain sur son cœur, ne m'évanouirais-je pas

sous son existence trop forte? Car le beau

n'est que ce degré du terrible qu'encore nous supportons

et nous ne l'admirons tant que parce que, impassible, il dédaigne

de nous détruire.

Rainer Maria Rilke, Die erste Duineser Elegie (Première élégie de Duino), 1912

(traduction: Maurice Betz)

Margarete et Sulamith fonctionnent inextricablement ensemble. En tant qu'archétypes, ces "sœurs de mémoire" soulignent qu' « en détruisant ses membres juifs, l'Allemagne et sa civilisation se sont elles-mêmes, mutilées ». Il est intéressant de noter que Paul Celan, dans son poème Todesfuge, les lie grâce à la répétition du langage, tout en maintenant chacune sur sa propre ligne. Leurs vies séparées, leurs histoires imbriquées.


À la suite de Paul Celan qui l'a marqué fortement, Anselm Kiefer garde les deux femmes séparées dans ses œuvres. Kiefer est né le 8 mars 1945 (près d'un mois avant le suicide d’Hitler) à Donaueschingen, à quelques kilomètres de la frontière suisse. On ne sera pas étonné de trouver des parallèles biographiques entre Kiefer et l'écrivain W. G. Sebald, lui aussi né au moment où l'Allemagne nazie agonisait, dans le village montagneux de Wertach, frontalier de l'Autriche. Comme Sebald, Kiefer a d'emblée refusé de céder au déni du passé, à la forclusion de la culture allemande violée par l'idéologie nazie. À rebours de l'attrait de ses pairs pour la culture américaine et comme pour faire mentir l'assertion d'Adorno selon laquelle « Il n'est pas certain que l'art puisse être encore possible (après Auschwitz) » (Théorie esthétique, Paris, Klincksieck, 2011), Kiefer assume ce passé refoulé. Son travail met en scène les allégories de la culture allemande dévoyée pour mieux les regarder en face.


Dans les années 1970, l'artiste a peint une série de paysages qui capturent la part obscure de la campagne allemande. « Je ne vois pas de forêt qui ne porte une marque ou un signe de l'histoire », dit-il. Durant cette période, il s'agit pour Kiefer de décrire le territoire, l'espace, la terre où des événements historiques ont pu se produire. Dans les années 1980, ses peintures sont devenues plus physiques, mêlant aux pigments des textures et des matériaux inhabituels. Après avoir exploité les résonances métaphoriques du plomb et du sable, Anselm Kiefer utilise la paille.


Anselm Kiefer - Dein goldenes Haar Margarethe (1981) © Anselm Kiefer

C'est justement ce matériau que l'on retrouve incorporé dans nombre de tableaux de sa série Magarete et Sulamith entamée dans les années 1980. La paille ajoutée à une peinture de Sulamith suggère les tresses dorées de Margarete, tandis que les lignes noires ou les zones enchevêtrées de peinture noire dans Margarete contiennent le silence et la présence effacée de Sulamith. De par son potentiel à être brûlée et réduite en cendres, la paille renvoi non seulement à un paysage marqué et formé par l'histoire, la guerre et le feu, mais aussi à la potentialité d'une transformation alchimique.


Anselm Kiefer devait répondre à l'injonction de Paul Celan de "s'enjuiver" pour acquérir la conviction que la pensée juive est au cœur de la mémoire allemande. À ce moment-là seulement, le passé est assumé et permet de se projeter dans le présent et le futur. Les œuvres d'art (textes ou objets) sont ici à considérer comme des documents a posteriori, des "traces" de ce qui s'est passé. « La "trace" est ce qui permet le procès de la signification, à savoir le fait pour un élément de la langue de garder en lui la marque de l'élément passé et de se laisser déjà creuser par la marque de son rapport à l'élément futur » (Jacques Derrida, "La différance", in Marges – de la philosophie, Paris, Éditions de Minuit, 1972, p. 13).

Anselm Kiefer - Dein goldenes Haar Margarethe (1981) © Anselm Kiefer

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Bonnie Roos, "Anselm Kiefer and the Art of Allusion: Dialectics of the Early "Margarete" and "Sulamith" Paintings", in Comparative Literature, Vol. 58, No. 1 (hiver, 2006), pp. 24-43

Andrea Lauterwein, Anselm Kiefer et la poésie de Paul Celan, Paris, Éditions du Regard, 2006

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