top of page

Les ruines actuelles

« Les vrais paradis sont les paradis qu'on a perdus »


Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, 1954, III, p. 870


Né à Paris en 1980, Cyprien Gaillard interroge la trace de l'homme dans la nature et face au passage du temps à travers des sculptures, peintures, gravures, photographies, vidéos et performances, mais aussi de monumentales installations et interventions dans l'espace public.


L'artiste représente l'architecture contemporaine en tension, comme une ruine moderne. Son travail se tient à l'articulation de la dialectique entre histoire et nature. En 2005, il commande à un peintre paysagiste des vues champêtres de banlieues suisses, insérant au sein de leur environnement naturel verdoyant des barres d'immeubles austères (Swiss Ruins).


Cyprien Gaillard - Swiss Ruins (2005)


Dans le même ordre d'idée, il introduit des tours modernistes dans des gravures paysagères hollandaises du XVIIème siècle (Belief in the Age of Disbelief, 2005). Dans un entretien accordé à Mousse Magazine en 2007 l'artiste explique que le titre de cette série « caractérise l'impression (...) de régression que subissent les sociétés modernes ».


Cyprien Gaillard - Belief in the Age of Disbelief (2005)


Cyprien Gaillard parle à la fois de la nature, de la mort, de la modernité et du passé. Robert Smithson a un jour déclaré : « The future is the past in reverse ». C'est très exactement ce à quoi s'attelle l'artiste dans ses montages: mettre en contact l'Autrefois et le Maintenant dans un éclair pour former une constellation, selon les mots célèbres de Walter Benjamin (Paris, capitale du XIXe siècle: le livre des passages, Paris, Editions du Cerf, 2006, p. 478). Gaillard est un arpenteur-géomètre qui se meut dans l'espace en y tressant des fils invisibles, à la recherche de constellations cachées.


Que ce soit en déplaçant dans différents contextes une monumentale sculpture en bronze d'un canard, ancien symbole d'un quartier moderniste de Paris (Le Canard de Beaugrenelle, 2008), en recyclant 15 tonnes de béton provenant de la démolition d'un immeuble de logements sociaux à Glasgow en une obélisque (Cenotaph to 12 Riverford Road, 2008) ou en faisant ressurgir la mémoire oubliée de la ville de La Haye par l'excavation d'un bunker de la Seconde Guerre mondiale (Dunepark, 2009), Cyprien Gaillard invite le spectateur à « chercher (dans ses dispositifs) la petite étincelle de hasard, d'ici et maintenant, grâce à laquelle le réel a pour ainsi dire brûlé un trou dans l'image; (...) le lieu imperceptible où niche aujourd'hui encore l'avenir d'une manière si éloquente que nous pouvons le découvrir rétrospectivement » (Walter Benjamin, Petite histoire de la photographie, in Walter Benjamin, Sur la photographie, Arles, Editions Photosynthèses, 2012, p. 49).


Cyprien Gaillard - Le canard de Beaugrenelle (2008) - Courtesy Galerie Bugada&Cargnel, Paris


Cyprien Gaillard - Cenotaph to 12 Riverford Road, Pollackshaws, Glasgow (2008)


Cyprien Gaillard - Dunepark (2009) - Courtesy Galerie Sprüth Magers, Berlin-London, Stroom, Den Haag et Hein van Liempd


Les œuvres de Cyprien Gaillard sont des allégories qui ramènent l'homme à sa propre et inéluctable destruction. Dialectique sans fin entre histoire et nature, universel et intime, entre la catastrophe et le périssable. La nature recouvre les ruines de l'histoire qui, à son tour, la détruit. « La pourriture est une renaissance » affirme Jean Epstein (Photogénie de l'impondérable, Paris, Editions Corymbe, 1935, pp. 9-10) et dans un mouvement d'éternel recommencement, ces destructions s'accompagnent de régénérations.


Desniansky Raion (2007) est une vidéo tournée dans les banlieues de Paris, Saint-Pétersbourg, Belgrade et Kiev. La vidéo alterne esthétique du vandalisme et du minimalisme, de l'ordre et du chaos. Des gangs s'affrontent et des bâtiments à l'architecture brutaliste et géométrique s'effondrent dans des effets pyrotechniques. Pour l'artiste, le conflit trouve son origine dans les politiques européennes de rénovation et de requalification d'espaces urbains entiers (Cyprien Gaillard, interview, Mousse Magazine, n°9, juin 2007).


Cyprien Gaillard - video still de Desniansky Raion (2007) - Courtesy de l'artiste et Gallery TPW, Toronto


La vue aérienne de cette banlieue de Kiev rappelle immanquablement des sites préhistoriques tels que Stonehenge ou le Cercle de Brodgar dans les Orcades. Par le dispositif de la caméra (plongées, remontées, coupures, isolements, ralentissements, accélérations, agrandissements et réductions) la "qualité de la vie" apparait et des œuvres séparées par des milliers d'années se cristallisent en une constellation. Desniansky Raion offre au spectateur une expérience d'illumination en ce que la vidéo « met en rapport l'instant le plus resserré avec la durée la plus expansive » (Georges Didi-Huberman, "L'ivresse des formes et l'illumination profane", in Giovanni Careri et Georges Didi-Huberman (dir.), L'histoire de l'art depuis Walter Benjamin, Paris, Éditions Mimésis, 2015, p. 50). La trace de l'histoire est observée vivante et suscite une expérience de remémoration: la destruction d'immeubles ne dure que quelques instants mais renvoi à l'histoire naturelle dont la destruction est un élément essentiel (W. G. Sebald). Grâce au montage, les rituels archaïques ressurgissent dans l'inconscient collectif.


Dans sa série des Cairns (entamée en 2007), Cyprien Gaillard photographie des amas de gravats juste après la démolition d'immeubles dans le cadre de réhabilitations urbaines. Au lieu d'un fier bâtiment moderniste, ne subsiste plus qu'un tumulus de ruines.


Cyprien Gaillard - Cairns 12, Riverford Road, Pollackshaws, Glasgow (1967-2008) (2008) - Courtesy Laura Bartlett Gallery, London


On ne peut s'empêcher d'établir un parallèle avec les "schuttberg", ces collines artificielles que l'on trouve dans toute l'Allemagne et qui sont constituées des déchets et gravats provenant des bâtiments en ruines après les ravages des bombardements alliés de la Seconde Guerre Mondiale. Des collines qui ont été transformées en parcs ou forment le socle de nouvelles constructions. À chaque fois, il s'agit de détruire pour faire place à une nouvelle modernité, une nouvelle réalité. Une modernité sans mémoire qui enfouit le passé sous des couches de pseudo-sédiments.


« Aussi ce qu'était assez curieux c'est que sur chaque trottoir, (...) tous les décombres (...) étaient amoncelées, impeccables, pas en tas n'importe comment, chaque maison avait ses débris devant sa porte, à la hauteur d'un, deux étages...et des débris numérotés!...que demain la guerre aille finir, subit..., il leur faudrait pas huit jours pour remettre tout en place...(...) là Berlin, huit jours, ils remettaient tout debout!...la maison bien morte, qu'un cratère, tous ses boyaux, tuyaux hors, la peau, le cœur, les os, mais tout son dedans n'empêche en ordre, bien agencé, sur le trottoir...comme l'animal aux abattoirs... »


Louis-Ferdinand Céline, Nord, in Œuvres Complètes, II, Paris, Gallimard, "La Pléiade", 2003, p. 333


Gaillard collecte les déchets, les rebuts, les guenilles, les traces éparses afin de donner voix aux marges de l'histoire officielles (celle des puissants), suivant en cela les recommandations de Walter Benjamin. Il couvre de gravats issus de la démolition d'une tour d'habitation d'Issy-les-Moulineaux l'allée principale du château de Oiron (2008), obligeant le visiteur à marcher sur les ruines de l'utopie moderniste pour accéder à un chef d'œuvre du patrimoine (et catégorisé comme tel).


Cyprien Gaillard - La grande allée du château de Oiron (2008) - Courtesy Galerie Bugada&Cargnel


Enfin, la série Geographical Analogies (2006-2009), présente des boîtes rappelant les vitrines des musées d'histoire naturelle? Chacune d'entre elles contiennent neuf polaroids pris par l'artiste aux quatre coins du monde. « Avec le Polaroid, explique Cyprien Gaillard, la photo se développe sur place, sans passer par un labo. Pour moi, elle est indissociable du site qu’elle représente, même si elle n’en est qu’un fragment. Mon geste est (...) d’essayer de créer des analogies entre des sites distanciés. (...) Et je voulais qu’elles se lèvent sous la vitrine, tels des cristaux dans un musée d’histoire naturelle » ("Cyprien Gaillard, du neuf avec des ruines", in Libération Next, 15 octobre 2011). On en revient à l'objectif de rendre compte du rythme implacable de la destruction. Dans la tradition, les cabinets d'histoire naturelle s'imposent comme des visions allégoriques, des memento mori.


Cyprien Gaillard - Geographical Analogies (2006-2011) - Courtesy Galerie Bugada&Cargnel, Paris, Sprüth Magers, Berlin-London et Laura Bar


« Au revers de l'expérimentation scientifique se tient (donc) une vision allégorique qui convie le regard à la méditation immobile, au temps suspendu (...) d'une photographie de ruines » (Muriel Pic, "Leçons d'anatomie", in Giovanni Careri et Georges Didi-Huberman (dir.), op. cit., p. 176). La photo a beau n'être qu'un fragment allégorique, chaque idée est une image totale du monde. L'analyse du petit moment singulier permet de découvrir « le cristal de l'événement total » (Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle: le livre des passages, op. cit., p. 489). Un peu à la manière d'un hologramme dont un petit morceau suffit à reconstituer toute l'image.

 THE ARTIFACT MANIFAST: 

 

This is a great space to write long text about your company and your services. You can use this space to go into a little more detail about your company. Talk about your team and what services you provide. Tell your visitors the story of how you came up with the idea for your business and what makes you different from your competitors. Make your company stand out and show your visitors who you are. Tip: Add your own image by double clicking the image and clicking Change Image.

 UPCOMING EVENTS: 

 

 

 FOLLOW THE ARTIFACT: 
  • Facebook B&W
 RECENT POSTS: 
 SEARCH BY TAGS: 
bottom of page